À Marrakech, une structure flambant neuve, censée incarner la modernité et le désenclavement de la cité ocre, est aujourd’hui au centre d’un scandale à forte résonance nationale. Deux ans après son inauguration officielle, la gare routière d’Al Azzouzia, fruit d’un investissement public de plus de 12 millions de dirhams, reste désespérément inutilisée. Loin de désengorger la circulation et de réorganiser le transport interurbain comme promis, elle gît à l’abandon, symbole d’un projet public vide de sens, dont les dessous opaques commencent à émerger au grand jour.
La situation a pris une tournure judiciaire le 23 avril dernier, lorsque l’Association Marocaine pour la Protection des Deniers Publics a déposé une plainte officielle auprès du procureur général du Roi près la cour d’appel de Marrakech. Le document dénonce des faits présumés de corruption, de détournement de fonds publics, d’abus de pouvoir, de gestion frauduleuse et d’enrichissement illicite. Cette plainte s’appuie sur un faisceau d’éléments troublants, qui jettent un doute profond sur la transparence de la gestion municipale et la véritable intention derrière ce projet d’envergure. Selon l’association, la gare Al Azzouzia a été planifiée et lancée sans aucune concertation avec les principaux acteurs du secteur, en particulier les professionnels du transport routier interurbain qui, pourtant, détiennent 60 % des parts de la société exploitant actuellement la gare de Bab Doukkala. Ces derniers, qui n’ont jamais été invités à participer à la conception ni à la mise en œuvre du projet, crient aujourd’hui à l’exclusion stratégique et soupçonnent un dessein plus obscur : transférer progressivement leurs activités vers un site marginalisé, pour libérer le foncier extrêmement convoité de Bab Doukkala.
Et pour cause : selon une expertise citée dans la plainte, la valeur du terrain de la gare actuelle de Bab Doukkala serait estimée à plus de 500 millions de dirhams. Un pactole foncier en plein cœur de Marrakech, à la confluence d’intérêts immobiliers puissants, qui pourrait expliquer la précipitation à construire une nouvelle gare et le refus obstiné de reconnaître son inutilité opérationnelle.
Derrière les belles façades de béton et de verre de la gare d’Al Azzouzia se cache une série d’anomalies flagrantes. Selon les professionnels du transport, la gare ne répond pas aux normes du secteur : mal connectée au réseau urbain, éloignée des axes principaux de transport, dépourvue d’un plan de circulation efficace, elle souffre de vices structurels qui rendent son exploitation quasi impossible.
Plus inquiétant encore, des soupçons pèsent sur les marchés publics liés à la construction de la gare, la sélection des prestataires et les dépassements budgétaires non justifiés. L’AMPBP réclame l’ouverture d’un audit indépendant, ainsi qu’une enquête approfondie sur les circuits de financement et les bénéficiaires réels du chantier.