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mercredi 21 mai 2025
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Vieillissement de la première génération MRE : entre oubli, défis et solutions pour une prise en charge digne

Dans les années 1960 et 1970, des centaines de milliers de Marocains ont quitté leur pays pour chercher un avenir meilleur en Europe — principalement en France, Belgique, Allemagne, Pays-Bas, mais aussi ailleurs. Ces premiers migrants, souvent appelés la « première génération » des MRE, ont contribué massivement à l’économie marocaine par leurs envois de fonds, tout en bâtissant leur vie à l’étranger.

Mais aujourd’hui, cette génération arrive à un âge où le regard se tourne vers la vieillesse. Ce moment est souvent synonyme de précarité, d’isolement, de perte d’autonomie, et de lourdeurs administratives dans les pays d’accueil. Pourtant, leur condition reste largement méconnue et insuffisamment prise en compte, tant par les États européens que par les autorités marocaines.

Le profil et la réalité démographique de la première génération MRE vieillissante

Selon le Haut-Commissariat au Plan (HCP) du Maroc, la population âgée de 60 ans et plus représentait environ 11,5% de la population totale en 2023, soit près de 4 millions de personnes. Parmi elles, plusieurs centaines de milliers sont des MRE, selon les estimations des associations et des chercheurs en migration.

Un rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) marocain souligne que les personnes âgées marocaines, y compris celles vivant à l’étranger, souffrent souvent d’une double vulnérabilité :

  • Un faible taux d’alphabétisation (près de 70% des plus de 60 ans sont analphabètes),
  • Des revenus faibles ou inexistants, notamment quand les droits sociaux acquis à l’étranger n’ont pas été réclamés ou transférés,
  • Une santé fragile, avec une prévalence élevée des maladies chroniques,
  • Un isolement social, accentué par l’éloignement familial et les barrières linguistiques dans les pays d’accueil.

Selon une étude de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS, 2022), plus de 50 000 retraités marocains en France n’ont jamais pu bénéficier de leurs droits à la retraite, faute de reconnaissance ou de transferts de droits. Cette situation génère une précarité financière importante.

Les droits sociaux fragmentés et souvent inaccessibles

Le Maroc a conclu 18 conventions bilatérales de sécurité sociale avec plusieurs pays, notamment la France, la Belgique, l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne, dans le but de faciliter la portabilité des droits sociaux tels que la retraite, l’assurance maladie ou le chômage. Cependant, sur ces 18 accords, seulement une douzaine sont effectivement mis en œuvre de manière complète et opérationnelle.

Plusieurs difficultés persistent :

  • Une partie importante des marocains résidant à l’étranger vit dans des pays où aucune convention sociale n’existe, comme certains États du Golfe, les États-Unis ou encore les pays nordiques, ce qui complique l’accès à leurs droits.
  • La complexité et la lourdeur des démarches administratives, souvent longues et opaques, découragent beaucoup d’entre eux de faire valoir leurs droits sociaux.
  • Par ailleurs, certains migrants ont cotisé simultanément dans plusieurs systèmes de sécurité sociale sans pouvoir bénéficier pleinement de la cumulabilité de ces cotisations, ce qui entraîne des pertes financières substantielles.

Cette situation conduit de nombreux premiers migrants à faire face à une absence ou à une faiblesse de couverture sociale. Faute de droits acquis ou accessibles, beaucoup sont contraints de rentrer au Maroc avec des pensions très faibles, voire inexistantes, ou de rester dans la précarité dans leurs pays d’accueil. Ce retour s’accompagne alors de nouveaux défis liés à la réintégration sociale, sanitaire et économique.

Vieillissement et isolement : un cocktail à risques

Pour les marocains résidant à l’étranger de la première génération, le vieillissement est souvent synonyme d’isolement, tant sur le plan familial que social. Nombre d’entre eux ont laissé derrière eux leurs enfants, leurs petits-enfants et une vie construite à l’étranger, pour revenir au Maroc, parfois sans réseau de soutien solide. Cette distance avec leurs proches restés en Europe ou ailleurs pèse lourd. Loin de la vie active, confrontés à la solitude, beaucoup vivent un repli social accentué par des barrières linguistiques et culturelles.

À l’étranger, ce phénomène s’amplifie parfois : les difficultés d’intégration, les discriminations à l’emploi, ainsi que l’accès limité aux services sociaux renforcent le sentiment d’exclusion. La pandémie de COVID-19 a aussi mis en lumière ces vulnérabilités, en isolant davantage ces populations fragiles.

De retour au Maroc, la réintégration n’est pas une étape simple. Le pays manque de structures adaptées pour accueillir ses seniors, en particulier ceux ayant vécu à l’étranger. Selon la Direction de la Solidarité Nationale, moins de 20% des personnes âgées bénéficient de la Couverture Maladie Universelle (CMU), qui reste un filet de sécurité insuffisant face aux besoins croissants. La disparité entre zones urbaines et rurales est criante : les infrastructures de santé, les établissements spécialisés et les aides sociales sont concentrés dans les grandes villes, laissant de nombreuses personnes âgées, notamment dans les zones rurales, sans accompagnement adéquat.

Santé et précarité : un double défi pour les seniors

La santé des seniors MRE est marquée par une forte prévalence de maladies chroniques telles que le diabète, l’hypertension artérielle ou encore les pathologies cardiovasculaires, nécessitant un suivi médical rigoureux et régulier. Or, ce suivi est souvent compromis par la précarité financière dans laquelle se trouvent beaucoup d’anciens migrants.

Sans pension suffisante ou avec des droits sociaux fragmentés, ces seniors doivent faire face à des frais élevés pour les consultations, les médicaments, et les soins spécialisés. Le coût des traitements peut vite devenir un obstacle majeur, poussant certains à retarder voire renoncer à leurs soins, aggravant ainsi leur état de santé.

Cette réalité est confirmée par des études récentes : selon l’Observatoire National des Personnes Âgées au Maroc (2022), près de 40% des seniors déclarent rencontrer des difficultés financières pour accéder aux soins, un chiffre qui grimpe à plus de 60% dans les zones rurales.

Ainsi, l’isolement social, la précarité économique et la fragilité sanitaire s’entremêlent, créant une situation de vulnérabilité accrue pour les premiers MRE vieillissants. Cette dynamique inquiète non seulement les familles, mais aussi les acteurs institutionnels et associatifs, appelés à renforcer leur soutien et à proposer des solutions adaptées.

Mesures gouvernementales : vers une intégration renforcée

Le ministère délégué chargé des marocains résidant à l’étranger travaille activement à une meilleure intégration des MRE dans le système national de protection sociale. Les lois n°15.98 et 15.99, relatives respectivement à la couverture médicale de base et au régime des retraites, sont au cœur des réformes visant à garantir une meilleure portabilité des droits acquis à l’étranger. Ces textes cherchent à faciliter l’accès des MRE à une couverture santé adaptée, ainsi qu’à la perception de pensions équitables, qu’ils vivent au Maroc ou à l’étranger.

Par ailleurs, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a récemment recommandé une révision approfondie des conventions bilatérales de sécurité sociale existantes. L’objectif est d’actualiser ces accords pour mieux protéger les droits des migrants, en prenant en compte les évolutions démographiques, économiques et sociales des communautés marocaines à travers le monde.

Enfin, des projets pilotes sont en cours d’étude pour créer des centres d’accueil et de soins spécialement dédiés aux seniors MRE. Ces structures viseraient à offrir un accompagnement médical, social et psychologique intégré, tout en tenant compte des spécificités culturelles de cette population.

ONG et partenariats institutionnels : un rôle clé dans l’accompagnement

Les ONG marocaines et européennes jouent un rôle essentiel dans la défense et l’accompagnement des seniors MRE. Parmi elles, l’Association Marocaine des Retraités à l’Étranger (AMRE) se distingue par son engagement en faveur des droits des retraités expatriés.

Leurs actions se concentrent notamment sur :

  • La simplification des démarches administratives, souvent jugées complexes et décourageantes, grâce à des services d’accompagnement et d’information.
  • La sensibilisation des MRE à leurs droits sociaux et médicaux, via des campagnes de communication et des ateliers de formation, afin de mieux les outiller face aux procédures bureaucratiques.
  • Le développement de services d’aide à domicile et la création de structures médicalisées adaptées, pour répondre aux besoins croissants en soins de longue durée et en accompagnement à domicile.

Ces initiatives, bien qu’encourageantes, restent pour l’heure limitées en termes de couverture géographique et de moyens. Le renforcement des partenariats entre l’État, les ONG, les collectivités locales et les acteurs privés est donc crucial pour construire un dispositif d’accueil et de prise en charge cohérent et accessible à l’ensemble des seniors MRE, qu’ils résident au Maroc ou à l’étranger.

Pourquoi le Maroc doit mieux prendre soin de ses premiers migrants

Les MRE de la première génération représentent une mémoire vivante, un capital humain et une richesse culturelle indéniable. En 2023, les transferts financiers des marocains du monde ont dépassé 115 milliards de dirhams, soit près de 10 milliards d’euros, un soutien vital pour l’économie nationale.

Investir dans leur bien-être, c’est non seulement une question d’équité et de justice sociale, mais aussi un levier économique et humain :

  • Améliorer les infrastructures d’accueil des seniors,
  • Faciliter la reconnaissance des droits sociaux acquis,
  • Renforcer les dispositifs d’accompagnement social,
  • Favoriser le retour et la réinsertion des MRE,

sont autant de mesures qui renforceront la cohésion sociale et la fierté nationale.

Un défi sociétal urgent à relever

Le vieillissement des premières générations de marocains résidant à l’étranger n’est pas seulement un enjeu démographique : c’est un appel urgent à la reconnaissance et à la responsabilité collective. Ces pionniers de la migration ont contribué de manière significative au développement du Maroc et ont façonné des ponts humains entre les pays.

Pour leur assurer une vieillesse digne, sereine et respectueuse, il est impératif de mobiliser conjointement les institutions, les ONG, les chercheurs et les MRE eux-mêmes. Cette mobilisation doit permettre de :

  • Mettre en place des politiques publiques réellement adaptées à leurs besoins spécifiques,
  • Développer des réseaux d’entraide solides et accessibles,
  • Simplifier drastiquement les procédures d’accès aux droits sociaux,
  • Et garantir un accompagnement humain et social à la hauteur de leurs sacrifices.

C’est seulement ainsi que la génération des premiers migrants trouvera au Maroc la sécurité, la reconnaissance et la chaleur humaine qu’elle mérite après des décennies d’efforts et de sacrifices. Ignorer cette réalité serait un manquement à notre devoir envers ceux qui ont tant donné.

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